Quand 90 musiciens amateurs s'installent au Grand théâtre de Provence à Aix
La musique en mode amateur ce soir au GTP à Aix
Clément, flûtiste, Joël, tromboniste pro, "on a de la chance alors si on peut transmettre...", et le duo formé par Françoise et Pauline sur son estrade.
Photo Serge Mercier
Fatigué, le maestro essuie prestement son visage dans une serviette blanche, comme après un match. Takuo Yuasa vient de rencontrer les 90 musiciens amateurs, de 7 à 75 ans, qui composent ce grand orchestre symphonique atypique.
Plus habitué aux philharmonies célèbres, ce chef japonais a quitté, hier à Aix, la baguette pour se jeter tout entier dans l'aventure. Il danse, chante, bat la mesure, guide l'ensemble avec énergie. Ses guerriers aux archets légers, apprentis virtuoses, ont été patiemment couvés, encadrés depuis le mois de novembre dernier par Marc-Olivier de Nattes, violoniste de l'Orchestre national de France.
"Mon rôle, dit ce dernier goguenard et ému, c'est préparateur, comme pour un combat de boxe qui se termine bien." La rencontre aura lieu demain soir, sur ce beau ring qu'est le vaste plateau du Grand théâtre de Provence. Déjà, dans cette forêt de micro (le concert est enregistré par France Musique), les danses hongroises de Brahms résonnent, Takuo Yuasa invite sa troupe, un peu stressée mais sous le charme, à avoir du "caractère", et Pauline, la plus jeune violoncelliste - si petite qu'il a fallu scier les pieds de sa chaise pour qu'elle puisse toucher terre - pouffe en le voyant mimer les morceaux.
Liviu, le légionnaire au violon, fait la traduction, tous les visages sont concentrés, comme dit la doyenne venue de la Drôme, Françoise, qui s'est mise au violoncelle à 60 ans, "la qualité du son, ça vous porte". Exaltés, enchantés, entraînés, ces instrumentistes le sont. "On les a transformés, juge leur talentueux coach Marc-Olivier de Nattes, on leur a apporté la rigueur des musiciens professionnels, puis chacun a appris à jouer avec l'autre, à écouter tout ce qui est autour, à se dépasser".
Michel, de Carry-le-Rouet, tromboniste qui a vu autrefois son projet de carrière brisé par l'appel de la guerre d'Algérie, réalise aujourd'hui son rêve, celui d'être dirigé par un grand chef d'orchestre. Celui-ci, Takuo Yuasa est à la recherche d'une pureté identique quoi qu'il arrive : "Un orchestre est un orchestre", s'amuse-t-il, avant d'apprécier le répertoire (danses roumaines de Bartok, danse de mirlitons de Tchaïkovsky, danse slave de Dvorak, valse triste de Sibelius et farandole de l'Arlésienne de Bizet) : "Ce n'est pas facile, ça a l'air facile mais c'est très physique".
Sa préparation de l'orchestre est donc tout aussi corporelle, un langage délicat et universel comme certaines mélodies, qui transmet l'envie de bien faire. "L'entraînement, c'est la base, après on peut s'abandonner, atteindre cette liberté du coeur", reconnaît-il.
Ici comme ailleurs, la star internationale se bat contre la perfection : "On ne gagne jamais cette bataille, rit-il, mais le jeu, c'est d'aller au plus près". Et cet absolu, ce bon son, Marine le cherche aussi. La petite violoniste de neuf ans, habitante d'Éguilles, a déjà gagné en indépendance.
Son papa, rivé à ses côtés au début pour décrypter les partitions ardues, est aujourd'hui dans la salle à se féliciter de l'exigence féconde qui a présidé à cette belle histoire musicale et humaine. Comme lui, demain, les spectateurs de ce concert exceptionnel entendront sans doute, dans chaque note, les fracas d'un succès, plutôt fair-play, qui prouve que l'on peut réunir des passionnés de tous âges, venus de toute la région autour du plaisir et du goût de la musique. Une victoire par K.O. en faveur de l'esprit de partage.
